Conditions et limites d’un pluralisme des boussoles dans Rézine
2024-01-14
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Pour le citer :
Rézine <RFCp1v1c1> — « Une Boussole, ou des boussoles ? » — 2024-01-14 — série Requests for Criticisms — problème «
p1
», plaidoirie «v1
», critiques «c1
» — boussole informatique — <https://git.sourcephile.fr/julm/rezine-rfcs.git/blob_plain/p1v1c1:/rfcs/p1/index.html>.
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<https://git.sourcephile.fr/julm/rezine-rfcs.git/blob_plain/p1:/rfcs/p1/index.html>
Je me suis fixé la date butoire du weekend de la mi-janvier pour
rendre une révision v1
de la plaidoirie
qui va suivre à l’« équipage » de Rézine, et nous y sommes. Je n’ai
pas eu le temps ni de me relire autant que je l’aurais voulu, ni de
trouver des primo-relecteur·rices.
Néanmoins j’en suis déjà satisfait dans l’ensemble, donc même si il est probable que j’apporte encore des clarifications ou modifie quelques uns de mes jugements, il est improbable que je modifie la susbtance de cette plaidoirie, Dans tous les cas j’accompagnerai les révisions suivantes d’un diff des changements à partir du dépôt Git que j’utilise, voire possiblement d’un commentaire synthétique.
Enfin, je m’en voudrais de monopoliser outre mesure l’« équipage » avec ce « gros pâté », sachant qu’il s’est uniquement donné pour mission à ce jour de collecter et synthétiser un questionnaire aux membres, et certainement pas de se retrouver « dans le pâté » de l’édition d’une RFC. Simplement, j’apprécierais qu’au moins ume membre de l’« équipage » — plutôt en accord avec la motivation qui va suivre — prenne au moins du temps pour me faire des retours afin de m’aider à converger vers une révision qui soit digeste et claire pour l’ensemble des membres de Rézine.
Dans la présente demande de critiques (RFC) auprès des membres de Rézine, j’essaye — de ma propre initiative et sans que cela n’engage quiconque de l’« équipage » à cautionner ou donner suite à cette initiative — de motiver et élucider un premier cahier des charges des conditions nécessaires à remplir et des limites conceptuelles à considérer pour « mettre sous tension » un « pluralisme des préoccupations » dans Rézine.
Pour cela, j’émettrai dans la plaidoirie qui va suivre :
des jugements descriptifs (des observations) : depuis les informations que j’ai en tant que membre très éloigné depuis des années de la vie de Rézine, et depuis les informations que je relève dans diverses littératures. Je soulignerai ces jugements autant qu’il m’est possible par les niveaux de certitude suivants : « impossible », « improbable », « possible », « probable », et « très probable » ;
des jugements évaluatifs (des valeurs) : principalement dans la section Critiques, en ce qui me concerne depuis mon humble souci pour le rôle de l’informatique et des informaticien·nes dans Rézine (bien que je ne sois pas impliqué dans l’administration des systèmes informatiques de Rézine), selon une échelle de mentions que j’utiliserai également pour défendre mon droit à recevoir des critiques ;
et enfin des jugements prescriptifs (des préconisations) : soulignés par les niveaux d’impératifs suivants, selon que le sujet de l’action soit :
Je consacre les notes infrapaginales aux renvois vers les sources originales vous devriez donc les ignorer en première lecture.
Le problème principal de la « Boussole » de Rézine a été le suivant1 :
si nous pensons que ce que nous faisons est bien, pourquoi ne le faire que pour 250 membres ? Restons-nous “petits”, devons-nous (continuer à) grandir ?
Viser une croissance de taille pose le problème d’une croissance économique, déjà au centre des préoccupations de la « Boussole » de l’équipage de Rézine.2 Toutefois, avant même d’affronter ce problème, la « Boussole » a dû affronter un problème tout aussi crucial au « décollage » :3
Dans les premiers échanges, la discussion est partie dans tous les sens. C’était aussi le moment où nous étions les plus nombreux et nombreuses. Il s’agissait de refaire le monde, puis nous avons décidé de structurer la discussion, pour nous donner une direction.
Même sans chercher à « refaire le monde » mais déjà rien que Rézine, il est très probable que cette croissance envisagée du nombre de membres remette ce problème de « commoning »4 à l’ordre du jour, et je pense donc que nous devrions équiper au mieux que possible l’« équipage » pour l’affronter, face au risque très probable autrement qu’il ne resurvienne de manière encore plus problématique.
Cette croissance ne portera très probablement pas Rézine au stade de « grande entreprise » mais va probablement ébranler la part d’inertie de l’agencement organisationnel actuel en « équipage » qui lui fait suivre sa « pente naturelle » vers un « Conseil opérationnel », lequel est présenté en ces termes :5
Conseil opérationnel
- Rôle similaire à l’équipage actuel : le lieu de vie et de décision de la structure
- 2 types de réunions : opérationnelle mensuelle et stratégique trimestrielle
- Toutes les personnes qui font des choses (modulo des limites de nombre pour pas qu’on soit 10000 en réunion)
Avec un rôle aussi globalisant, il ne me semble pas provocateur mais fondé et fécond de commencer par se demander qu’elle est donc « l’opération » que le « Conseil opérationnel » effectuerait au bénéfice de la vie et de la décision de Rézine ? Ou plus exactement à quelles « opérations » le « Conseil opérationnel » servirait-il de support ?
Une première ressource pour instruire cette question est le concept de « commoning », puisque l’équipage de Rézine s’est explicitement « équipé » du cadrage conceptuel des communs :6
Rézine s’envisage d’intérêt général et participant des communs
et d’un « accompagnement de l’union régionale des SCOP :7
[…] pour préciser la gouvernance, le modèle économique
De la littérature sur les communs, je relève qu’elle est constituée dans son courant de pensée le plus important de nombreuses analyses de « common-pool resources » (CPR)8 à travers le monde, décrits dans le language commun de l’« Institutional Analysis and Development » (IAD). Ce cadre conceptuel IAD a été explicitement conçu pour s’appuyer sur la complémentarité entre diverses théories (théorie des jeux, modélisations informatiques, théorie de la rationalité limitée, etc.) :9
It is because we find complementarity in diverse theories and models
that we need the IAD framework
Cependant les théories mobilisées sont toujours limitées10 à celles centrées sur l’objectif fondamental de la littérature sur les communs :11
getting the institutions right [faire de bonnes institutions]
plus précisément :12
changing rules so as to improve outcomes [changer les règles pour améliorer les résultats]
Or, que ce soit lors du présent « commoning » de Rézine — ou plus probablement lorsque le « Conseil opérationel » rencontrera un « problème » que la gestion effective alors en place peinera à résoudre au point que des membres envisagerons à nouveau de réagencer l’organisation de Rézine, alors, l’équipement du « commoning » (une meilleure coordination, une meilleure collaboration dans l’action ou encore un meilleur apprentissage collectif) ne devront être que des aspects particuliers de ce changement, qu’il n’y aura pas de raison de considérer à priori comme centraux, et encore moins comme suffisants pour instruire ce « problème ».
D’autant plus qu’avec Rézine nous naviguons dans un environnement :
complexe : il ne s’agit pas simplement de faire face à de « simples » ordinateurs qu’on peut voir de l’extérieur et dont on peut connaître tous les tenants et des aboutissants, cela n’est pas un système « complexe » comme il faut l’entendre ici, Avec Rézine nous devons affronter un système humain13, tout en étant dedans ce système, qu’on peut certes étudier et ce sur lequel on peut agir, mais dont on ne peut plus proposer qu’une lecture contingente et relative à nos capacités de perception, à nos sensibilités et à notre point de vue.
ambigü : par exemple telle personne attribue-t-elle un souci de santé aux ondes radios parce qu’elle en est convaincue ou bien avant tout parce que c’est le seul argument qui ne peut pas être balayé d’un revers de main ?
incertain : par exemple le recrutement d’ume nouveau·le salarié·e s’accompagne une zone d’incertitude14 sur son action, lui conférant une certaine capacité à se rendre imprévisible dans les interstices ou vides juridiques que son contrat de travail ne pourra jamais combler complètement.
et vulnérable : par exemple même si Rézine devient « grande entreprise », elle restera toujours « petite » face à quelque chose, un État par exemple.
Ainsi, afin de chercher de l’aide pour faire mieux que de se laisser porter seulement par cette littérature dans un tel environnement, tout diagnostic devrait explorer tous les facteurs et mécanismes reconnus, et donc déborder la littérature sur les communs.
Plus précisément, rechercher activement et développer autant que possible un pluralisme des cadrages conceptuels pertinents devrait notamment passer (pour le peu que j’ai pu survolé et que je n’exploiterai donc très probablement que très partiellement voire maladroitement dans la suite — je suis informaticien, et tiens à le rester) par de la littérature complémentaire sur :
Toutefois il y a des limites de taille pour s’équiper ainsi :
Un constat s’impose à moi : la littérature qui concerne la dimension distributive ou stratégique est moins abondante que celle concernant la dimension intégrative et coopérative.
Apparemment, l’obligation de publication de tels travaux serait plus rare et le désir de publication des chercheur·ses moins facile à réaliser, probablement car contrairement à la dimension intégrative et collaborative (formules du genre « gagnant-gagnant », « mettre tout le monde autour de la table », « tous pour tous », …), il est impossible pour la dimension distributive ou stratégique, de tout partager avec tout le monde à tout moment sans cesser d’être pertinent.
Il y a visiblement un fort déséquilibre au détriment de cette littérature, et une sur-représentativité et sur-valorisation académique22 en faveur de la dimension intégrative ou collaborative, alors que pourtant il est possible que l’application de ces théories d’actions s’avère impossible dans la pratique, voire manipulée.
L’accès à ces littératures académiques ou pour un public de praticien·nes, est très souvent restreint par des prix inabordables (souvent entre 30 € et 70 € le livre).
Je reproduirai (ou adapterai) donc des extraits ici, et privilégierai des références sous forme numérique pour les réunir dans une bibliothèque Calibre qui pourra être mise à disposition des membres.
L’accessibilité de ces littératures est très probablement un obstacle de taille aussi, non seulement pour les personnes uniquement francographes car elles sont bien souvent en anglais et pas traduites, mais surtout car elles demandent un temps considérable en recherches, lectures et réflexions, ce qui est un luxe ou autre travail « entre 20h et minuit ».
J’essayerai donc de m’en tenir à n’invoquer que les éléments que je trouve utiles aux problématiques que je perçois actuellement dans Rézine, laissant en notes infrapaginales des références pour qui veut approfondir. Car c’est une chose d’essayer de comprendre avec plein d’entrain ces littératures, mais ce sont là des disciplines complexes, dans l’étude desquelles il est facile de s’absorber avec fascination, au risque probable de perdre le fil du domaine d’action initial.
Apprécier l’efficacité du « Conseil opérationnel » à écouter, peut-être à intégrer, du moins à encourager des discussions de fond vigoureuses et approfondies sur les problèmes et solutions soulevé·es par les membres, doit encourager chaque membre à centrer sa réflexion sur les objets qui sont en débat et comment ils sont, au final, traités concrètement.
Mais dire cela, c’est reconnaître le besoin de dissidence or, un environnement de dissidence n’est à priori ni enthousiasmant, ni favorable à la construction et au maintient d’une stratégie. Comment dès lors construire et maintenir une stratégie dans une telle vision de Rézine ? D’autant plus que la croissance envisagée du nombre de ses membres risque très probablement d’augmenter son entropie et donc les possibilités qu’échoue le maintient de toute stratégie ?
Quel intérêt alors — notamment pour l’informatique et les informaticien·nes — d’instituer dans un même collectif l’enchevêtrement de centaines de hiérarchies de valeurs de chacume des membres, portant chacume sa propre « boussole » polarisée vers un « Nord » distinct ? Et peut-on seulement, dans une situation donnée, dénouer au moins partiellement cet enchevêtrement en alignant certaines boussoles personnelles dans une boussole collective ?
Autrement dit, non seulement quelles peuvent être les « bonnes causes » ayant droit de cité dans l’évolution de Rézine ? mais qui les portera ? comment ? et jusqu’à quel point ? Et quels sont les problèmes dont doit se saisir et solutions que peut apporter l’ingénierie informatique pour assurer au mieux sa part de responsabilité collective pour que les discussions dans Rézine fonctionnent plus efficacement ?
Un tel centrage sur les enjeux de substance nécessiterait plusieurs conditions :
Ce centrage sur les résultats et non sur les procédures (les règles explicites ou tacites sur la manière dont on discute ou décide ensemble, y compris la nécessité impérieuse d’appartenir à un même commun — le maintien de « l’unité »), force à refuser toute prééminence de valeurs procédurales sur des valeurs substantielles (du genre « est-il moral de déployer encore plus d’informatique indépendamment de la manière dont on gère cette informatique ? »).
Surtout que, dès lors qu’il y a prééminence de la « procédure » sur la « substance », cela peut permettre de graves dérives d’exclusion des questions de contenu — d’évacuation du fond du problème soulevé par une « parole sauvage » — au prétexte d’une procédure légitime23, voire au nom de notre bien commun à nous.
Par conséquent il faudra élucider les conditions et limites d’une boussole particulière : la boussole « régulatrice ». Celle-ci ne peut pas garantir une composition de type coopérative, mais devra à minima jouer un rôle dans les compositions de type négociatives ou adversatives en garantissant qu’aucune émergence politique collective ne puisse ridiculiser le souci que se donne une quelconque boussole, ni empêcher ses problèmes et solutions d’avoir droit de cité dans Rézine : d’exister, d’être écouté·es, et de faire leur effet dans Rézine.
Cela implique qu’elle devra modérer des échanges qui excluerait de l’humanité toute personne, ou qui verrait ses problèmes ou solutions traitées de « stupides » ou autre manque de civilité.
En contre-partie, toute boussole devra instruire des plaidoiries pour ses problèmes et solutions et devrait les réajuster par le dialogue entre boussoles.
Seulement ainsi chaque boussole pourrait ne pas être un point de vue local à l’intérieur d’un « Conseil opérationnel » ou d’une « Assemblée générale » qui aurait une vue globalisante prétenduement plus grande du monde.
Ainsi, dans un pluralisme des boussoles dont on pousse la logique jusqu’au bout : « le tout », l’institution qui décide en dernière instance et dont émane généralement un organe de régulation de « l’action collective » appelé « Conseil d’administration », doit également n’être qu’une boussole parmi d’autres, pas moins partielle (et partiale !) que chaque autre « partie prenante ».
Une condition nécessaire fondamentale à la conception d’une bonne stratégie est le focus sur un problème crucial.24
Si, comme la « Boussole » le laisse supposer, Rézine ne devrait pas uniquement porter des causes tenables ensembles sous la bannière de l’informatique, mais par exemple devrait également assumer le compromis d’une « RSE » qui combine des ordres de justification qui n’ont rien à voir les uns avec les autres :25
RSE : La responsabilité sociale d’une entreprise, désigne la prise en compte sur une base volontaire par les entreprises des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités.
Dès lors, ce n’est pas pareil :
Ainsi, favoriser le portage de manière stratégique de telles causes incommensurables et irréductibles les unes aux autres au sein d’une même institution, doit être favorisé par la création d’un espace de dissensus assumé — c’est-à-dire non pas un espace de controverse qui ne serait qu’un processus transitoire par lequel il faudrait passer à regret pour revenir à « l’unité » — mais bien un espace dans lequel les positions de désaccord peuvent être assumées durablement et structurellement.
Autrement dit, non seulement « équiper » Rézine de chacune des boussoles, portées par ses membres, mais ce faisant :
ne pas instituer de boussole « surplombante », capable de décider systématiquement en dernière instance des problèmes à résoudre, puis les prenant en charge en essayant de mettre en œuvre une stratégie suivant une ligne de raisonnement rationnel (« valeurs » puis « objectifs » puis « moyens ») ;
ne pas instituer de boussole « extérieure », qui n’aurait pas sa propre part de pouvoir formel, et devrait donc se contenter d’observer une ligne de raisonnement organisationnel26 mettant en lisibilité la stratégie des autres boussoles, sans pouvoir actionner au-delà sa propre stratégie de changement des résultats de Rézine qui l’intéressent.
Dans cette perspective radicalement pluraliste, les positions dissensuelles, leur vitalité, leur qualité, leur degré d’élaboration, deviennent une préoccupation centrale de l’analyse et de l’action.
Tâche à laquelle je vais m’atteller ci-après, depuis mon point de vue et de ma sensibilité d’informaticien libriste radicalisé depuis l’adolescence, mais également — le préciser peut aider à clarifier mon problème — depuis le vécu de quelqu’un ayant préalablement échoué lamentablement à faire ce que l’équipage de Rézine fait avec brio : la mise en commun d’un bout d’Internet.
Le questionnement que je suis personnellement motivé d’instruire en allant chercher des éléments de réponse dans les diverses littératures ici citées, est alors le suivant : dans une telle organisation pluralisant la « Boussole » en des boussoles, que faudrait-il qu’ume professionnel·le, ou ume militant·te de l’informatique de formation axée sur les sciences de l’informatique :
Pour commencer un effort de compréhension des éléments de réponses reconnus, je relève de la littérature sur la rhétorique, que pour assumer un dialogue entre de telles boussoles, il faudra voir tout débat comme portant simultanément et de façon ambiguë :27
Le dialogue entre boussoles doit alors chercher à élucider, et « mettre en lisibilité » (autant que possible), de manière publique (autant que souhaitée) :
en remplissant une telle grille de lecture :
Mise en lisibilité… | Pour sa boussole | Pour telle autre boussole | Pour Rézine |
---|---|---|---|
…des valeurs | Valeurs pour sa boussole | Valeurs pour telle autre boussole | Valeurs pour Rézine |
…des observations de problèmes | Problèmes pour sa boussole | Problèmes pour telle autre boussole | Problèmes pour Rézine |
…des préconisations de solutions | Solutions pour sa boussole | Solutions pour telle autre boussole | Solutions pour Rézine |
Pour résoudre le problème de la construction d’une stratégie qui m’intéresse ici, une telle différenciation radicale permet de s’appuyer sur l’avantage qu’il y a à laisser chaque problème ou solution se revendiquant d’une préoccupation de référence — d’un bien commun fondamental particulier, représentant une responsabilité ou mission d’intérêt collectif à assurer pour ne pas causer de graves dysfonctionnements — défendue en premier lieu par les membres d’une boussole à qui cette préoccupation tient particulièrement à cœur, et qui doit donc à minima :
Et seulement après ce surplus de réflexion de base d’une stratégie — qui est déjà une action (cognitive) qui peut en elle-même être une source de pouvoir — devrait venir la négociation entre boussoles.
Ce déroulement s’oppose radicalement à l’approche consistant à chercher à se mettre toustes d’abord d’accord sur une « Boussole » pointant vers des valeurs et des objectifs pour discuter ensuite des moyens comme dans la « Boussole » :28
Rézine est une structure ouverte, accessible et gouvernée par ses membres, selon des objectifs fixés collectivement.
Cela implique au contraire que chaque personne porteur·se d’une boussole renonce radicalement à envisager de régler elle-même tous les problèmes d’une situation, pour mieux porter sa cause, pour en faire le guide et la priorité de son analyse, et donc qu’elle renonce radicalement à faire elle-même des autres considérations et causes des autres boussoles, des éléments à parité dans sa propre analyse, stratégique.
Autrement dit, à dire : « moi je porte cette préoccupation parce que j’ai tel aspect que je considère fondamental, j’amène ma boussole dans le débat collectif, je m’engage, et d’autres personnes portant d’autres boussoles vont tenir d’autres préoccupations et on va faire société et politique là-dessus ».
Une confusion très courante nécessite d’insister sur le postulat d’une analyse gestionnaire :29 il n’y a pas d’action collective. Parler d’action collective, c’est parler de manière métaphorique, c’est une pure abstraction qui fait comme si tous les acteur·rices par leurs interactions constituaient un acteur collectif. Mais ça n’est pas un agir à proprement parler, ça n’est pas là qu’est l’agency d’une action (quelle que soit son intention initiale). En analyse gestionnaire : l’action humaine est toujours individuelle.
En clair, la condition nécessaire à ce renoncement radical est que chaque personne physique doit être reconnue comme ne portant qu’une seule et unique boussole, quand bien même elle serait intimement travaillée par plusieurs préoccupations.
Une condition qui rendrait plus opérationnel la valeur de la « Boussole » :30
Toute personne membre concernée par une décision peut participer à celle-ci, proportionnellement à l’impact que cela aura sur elle.
Effectivement selon cette condition chaque (membre d’une) boussole ne doit pas nécessairement se restreindre sur les sujets abordés ou sur la reprise de justifications qui viendraient d’autres boussoles, dans les problèmes ou solutions qu’elle porte ou auxquelles elle objecte : nous ne sommes pas des machines qui porteraient chacune une unique logique, nous sommes des humain·nes qui essayons de construire ensemble et résoudre des situations en nous appuyant sur des boussoles qui sont chacune prise individuellement trop limitée pour gérer Rézine.
Il ne s’agit pas non plus de faire un débat « d’élevage » ou « savant » cherchant à affaiblir (ou renforcer !) telle ou telle parole « sauvage » ou « profane ».
Il s’agit :
Une telle différenciation des pouvoirs doit donc commencer par une phase d’intense négociation d’initiation entre des fondateur·rices de boussoles, afin de mettre Rézine « sur les rails » de modes de résolution plus différenciés que celui plus indifférencié où des membres de commissions et groupes locaux se réuniraient dans un « Conseil opérationnel » pour prendre en charge quasiment tous les problèmes.
Pour faire évoluer cette différenciation initiale, d’autres compositions négociative entre boussoles devront également jouer un rôle important :31
Je relève déjà néanmoins de la littérature sur la négociation plusieurs limites au centrage sur les enjeux de substance :
L’utopie d’une différenciation en premier lieu par préoccupations (et non par territoire (de vie, d’infrastructure, …), par ressource, par produit, par projet, par opération ou autre) est qu’au bout du compte elle rende probable de construire une Rézine moins « pure », moins « bonne » et moins « efficace » du point de vue moral de telle ou telle boussole mais plus « riche », plus « prospère » et plus « humaine » du point de vue de la pluralité des préoccupations présentes dans telle ou telle situation pratique, car dans laquelle :
Mais ce côté est utopique : il ne peut pas être totalement réalisé, il peut par contre être plus ou moins partiellement réalisé. Ainsi la « Boussole », en dépit de son hésitation sur quelle est la différenciation première, pose déjà que « les fonctions support sont transverses à tout Rézine » :32
- Le fonctionnement s’organise autour des groupes locaux où se regroupent les membres, articulant les personnes actives, qu’elles soient bénévoles ou salariées.
- Rézine n’est pas une confédération de groupe locaux :
- Les décisions sont prises en central pour et par tous les groupes.
- Chaque groupe local décide de la manière dont il décline ces décisions sur son territoire.
- Les fonctions support sont transverses à tout Rézine :
- Administration système
- La gestion comptable et financière (le trésor)
- Tout ce qui touche au système d’information (SI) et à nos outils partagés
- Les contacts avec les prestataires (antennistes, …) et partenaires (Grenode, …)
Ensuite parce que chérir un pluralisme des préoccupations — considérer que la fragmentation et la divergence sont une « richesse » et qu’il est abusif d’exiger que chaque préoccupation soit partagée par toustes — nécessite par définition qu’il faudra espérer que tous les problèmes et solutions seront porté·es par quelqu’ume, car si les autres « bonnes causes » ne sont portées par personne, il y aurait un vrai problème.
Enfin, tout·te membre d’une boussole ne doit pas se considérer fondé·e pour autant à écraser toutes les autres préoccupations, mais au contraire doit ne la porter que « jusqu’à un certain point ».
Plus précisément :
Premièrement, il est impossible qu’une boussole soit capable d’écraser toutes les autres boussoles partout et tout le temps.
Ensuite, d’un point de vue purement égoiste, si une boussole écrase systématiquement les autres boussoles cela rendrait très probablement Rézine — et donc chaque membre de cette boussole écrasante — plus « pauvre », car ne seraient plus assurées d’autres préoccupations à tenir pour ne pas causer de graves dysfonctionnements.
Enfin, de la littérature sur la concertation, je relève six critères de procédure pour apprécier le niveau de « forçage » d’une décision qu’il faudra « mettre en lisibilité » :33
La dystopie d’une différenciation par préoccupations est qu’il arrive souvent que toutes ces différentes préoccupations ne cessent de se fragmenter, n’arrivant ni à converger ensemble, ni même à convenir d’un espace critique où dé-battre de leurs points de vue.
Ainsi, la crainte que la multiplication des « bonnes causes » empêche de réussir à maintenir « l’unité », qu’elle cause un émiettement — une fragmentation — préjudiciable à la stratégie effectivement déployée par Rézine, doit être considérée.
Même dans une configuration de composition de type coopérative, je relève de la littérature sur la justification, qu’il est très probable que dans la plupart des situations pratiques les membres de boussoles prennent le temps de discuter, et même probablement beaucoup de temps à discuter (la présente plaidoirie le montre bien), pour chercher une « action juste » dans une situation donnée, ne laissant pas leur action guidée par la logique pure de leur boussole, mais faisant des compromis avec les revendications des autres boussoles.
Ainsi, le raisonnement considérant qu’avoir une boussole par préoccupation de référence dans Rézine est plus efficace pour sa gestion, s’applique également au niveau de la société où il est probable qu’il soit plus efficace que Rézine s’en tienne à n’être qu’un acteur sectoriel peu différencié par préoccupations en interne, mais qui de temps en temps négocie au niveau de la société avec d’autres acteurs sectoriels portant d’autres préoccupations.
Le risque m’apparaît donc probable qu’il soit plus efficace, que Rézine ne porte qu’une seule « Boussole » plutôt qu’un agencement dans lequel plusieurs boussoles négocient possiblement tout avec tout le monde en permanence, et ne pourraient jamais arriver à s’organiser pour mener une action efficace de leur point de vue. Notamment du point de vue d’une préoccupation informatique affectionnant des procédés de discussions outillés par des ingénieur·res et pour des ingénieur·res, où il soit plus probable que reste ou devienne d’usage des outils informatiques ou pratiques organisationnelles qu’elle chérie, sans grand souci pour leur utilisabilité ou accessibilité pour le reste des membres de Rézine.
Cependant ne pas avoir du tout de différenciation par préoccupation m’apparaît impossible : toute société, institution, individu est toujours travaillé·e par ses propres dissensus internes, entre « bonnes causes » dont les luttes ne convergent pas nécessairement en une seule et même « bonne cause », dans la mesure où elles sont par exemple matériellement exclusives les unes des autres et/ou affectivement irréductibles les unes aux autres. Ainsi Rézine contient déjà des « proto-boussoles » d’un tel pluralisme des préoccupations :34
Dans le cadre des Foires aux Questions, ces moments où Rézine et Grésille proposent de répondre aux questions qui se posent sur le numérique, nous avons un nombre croissant de réponses relatives à l’impact environnemental du numérique. L’occasion pour nous de travailler un peu et de lire les trois rapports de l’ARCEP et de l’ADEME sur la question (ici, ici et là qui ont le bon goût de ne pas limiter les effets des pollutions numériques aux seuls équivalents carbone et de s’intéresser à toute la durée de vie des équipements numériques (fabrication jusqu’à la fin de vie). […]
Dans un autre ordre d’idée, un groupe s’est monté au sein de Rézine, pour faciliter l’inclusion des femmes et des minorités de genre. Ce groupe, nommé MINT pour “meufs, intersexes, non-binaires et trans” a pour objectif de réunir les membres actives concernées, pour avoir un espace pour échanger, partager d’éventuelles difficultés et faire des propositions à l’équipage sur ces questions. Nous avons aujourd’hui 6 femmes pour 42 membres d’équipage, c’est un progrès, mais c’est clairement insuffisant ! Là aussi travail en cours, avec l’objectif d’améliorer ce ratio dans les prochains mois et les prochaines années.
Dans les deux cas, Rézine ne découvre pas l’existence de ces problématiques. La plupart des membres actifs en avaient conscience à titre individuel, mais des dynamiques se sont lancées cette année pour être en mesure de mieux comprendre et de mieux agir.
La question reste donc ouverte pour moi : peut-on modérer cette dystopie du pluralisme des préoccupations ? Et donc rendre une tension entre boussoles plus constructive que ne le ferait une seule « Boussole » en laissant les voix dissidentes à l’extérieur de Rézine, ou en les intégrant dans une minorité structurelle (par quorums et/ou pondérations) sans qu’il soit possible qu’elles arrivent parfois ou sur certains sujets à être décisives en dernière instance ?
Se reposer sur une différenciation par préoccupation permet de favoriser des lignes de fronts qui ne passent plus en premier lieu entre des polarisations du genre35 :
Cependant l’intégrité des membres d’une même boussole, même coopté·es ou admis·es sur la base d’épreuves, ne peut pas être garantie : je pourrais citer de nombreux exemples où une institution qui s’est donnée ou a reçu une responsabilité formelle s’est par exemple abstenue de l’exercer.
Même si des membres sont d’accord sur les valeurs d’une boussole qu’il co-tiennent, il reste donc un certain nombre de discussions à avoir pour trouver la « décision juste » ou l’« action juste ».
Si Rézine applique un principe démocratique radical, alors toute boussole doit être considérée légitime — même si on la combat — à partir du moment où au moins une personne la porte. Mais cela augmente le risque de déboucher sur l’émergence d’une fragmentation totale.
Cependant, de la littérature sur la négociation, je relève que dans une situation donnée il est improbable qu’un nombre problématique d’analyses et de préconisations restent tenables, de sorte que dans une négociation multilatérale :36
on débute par une coordination qui conduit à des alliances, puis on procède par ralliement ou par agrégation, puis par mise en relation entre les blocs de coalition »
En pratique donc des valeurs, des observations de problèmes et des préconisations de solutions différentes, voire contradictoires, peuvent demeurer groupées sous la bannière d’une même boussole. Et selon les domaines d’application, selon la gestion effective d’une ressource, l’une ou l’autre des conceptions d’intervention tendra à prévaloir.
Par exemple, si j’imagine (à titre d’illustration, ce n’est pas pour dire que cela serait pertinent pour Rézine) qu’une seule et même boussole informatique réunisse toutes les préoccupations distinguées par la norme ISO/IEC 25010:201137 : le fonctionnel, la performance, la compatibilité, l’utilisabilité, la fiabilité, la sécurité, la maintenabilité et la portabilité. Alors des divergences d’orientation pourraient être refoulées, surtout dans le discours, dans un objectif de mobilisation, voire de rassembler des forces trop faibles, au prix d’un flou prononcé.
Ainsi cela pose la question de quels type ou niveau, de différenciation ou d’intégration des boussoles, vont créér des effets souhaitables ou des effets dysfonctionnels.
Ainsi chaque boussole devrait remplir une grille de lecture du genre :
Type ou niveau … | Effets souhaitables | Effets dysfonctionnels |
---|---|---|
…de différenciation | Type ou niveau de différenciation créant des effets souhaitables | Type ou niveau de différenciation créant des effets dysfonctionnels |
…d’intégration | Type ou niveau d’intégration créant des effets souhaitables | Type ou niveau d’intégration créant des effets dysfonctionnels |
De par les situations d’interdépendances divergentes qu’ils suscitent, les projets de construction d’infrastructures (comme celle de l’Internet mais pas que) constituent le prototype du processus de décision où je trouve pertinent de s’interroger sur la place de la négociation.
De la littérature sur la négociation, je relève particulièrement un article de Laurent Mermet « La négociation comme mode de composition dans les systèmes d’action complexes »38, qui synthétise dans la grille de lecture suivante une distinction entre neuf modes de composition — autrement dit entre neuf opérations de connexion ou de déconnexion — entre protagonistes, toutes capables de mener à une décision effective, et dont le « Conseil opérationnel » servirait très probablement de moment, voire de support :
Interactions… | Guidage des interactions sur les divergences | Guidage ambivalent (sur les divergences et convergences) | Guidage des interactions sur les convergences |
---|---|---|---|
…évitées | Affrontement tacite, concurrence | Négociations tacites, ajustements | Coopération de fait |
…directes | Affrontement | Négociation | Coopération explicite |
…via un tiers | Procès, recours | Médiation | Coordination par ume leader |
L’enjeu du « Conseil opérationnel » au bénéfice de « la vie et de la décision » de Rézine, se présente alors comme une recherche de conditions de cohabitation de cet ensemble de compositions qui fonctionne comme un tout (dans chaque situation, la considération de chaque mode de composition possible, influe sur chacune des compositions en cours), et cela tant au niveau de l’interaction entre les membres (qui arrivent chacume avec des positions, qui peuvent pro-poser, essayer d’im-poser, mais qui finissent probablement souvent par « com-poser »), qu’au niveau de l’interaction de membres de Rézine avec d’autres acteur·rices de la société civile ou des collectivités publiques.
La leçon principale que rappelle cette grille est que : une configuration de composition inclut non seulement des compositions coopératives, mais également négociatives, voire adversatives (ce qui inclut l’affrontement, mais aussi l’évitement stratégique qu’il est plus facile de négliger), autrement dit, que tous les problèmes ne peuvent pas être résolus par la coopération, ni même par la négociation.
Première conséquence : même si c’est un terrain plus difficile à naviquer que celui de la coopération, un premier équipement doit être de savoir reconnaître — et savoir parfois se résoudre à s’engager dans — le terrain glauque et désagréable de la négociation, qui contient déjà du conflit.
Deuxième conséquence : la réalité des situations de pouvoir devrait forcer à (ré)apprendre comment se déplacer dans toute cette configuration de composition — dans tous ses modes d’interactions pour gérer les interdépendances divergentes.
Ce qui ne se fait pas de manière continue, mais par des sauts (« ouvrir les hostilités », « enterrer la hache de guerre », « agir en douce », …), sachant qu’en parralèle, différent·tes acteur·rices peuvent néanmoins composer différemment (« la grève continue, les négociations suivent leur cours »).
Étant donnée la situation d’interdépendance entre les boussoles, celles-ci devront, « jusqu’à un certain point », composer avec les autres.
Ici le mot « composition » doit être entendu dans un second sens que simplement le sens vu par les boussoles qui doivent composer : de « faire des concessions » ou de « transiger ». Mais également dans le sens de « formation d’un assemblage par combinaison de parties », ce qui nous ramène au cœur de l’enjeu de « la vie et de la décision » de Rézine : et à l’étude de la boussole particulière qui cherche cette composition.
Une telle boussole « régulatrice », aurait pour préoccupation de référence de faire émerger une action collective, en permettant l’intégration des attentes hétérogènes de différentes boussoles. D’éviter par exemple qu’une décision prise à une majorité de 55% ou 65% (ou même avec une mention majoritaire/médiane “Assez Bien”), n’arrive pas ensuite à déboucher effectivement sur une action collective, parce que les parties prenantes ne sont pas suffisamment convaincues :
Dans l’organisation envisagée, un « Conseil opérationnel » « lieu de vie et de décision » de Rézine, ne répond pas au critère d’une telle boussole régulatrice puisque ses membres seraient alors déjà membres des boussoles qu’il réunit. En première analyse, c’est l’institution « Conseil d’administration » qui correspond intentionnellement le plus à ce concept de boussole régulatrice :39
Conseil d’administration
- Nombre restreint de personnes élues par l’AG
- Représente Rézine vis-à-vis de l’État
- Participe au conseil opérationnel
- Garantit le cadre et la vision fixés par l’AG (respect des statuts, du règlement intérieur, des décisions d’AG, etc)
Cependant une telle intégration n’est pas garantie, une composition coopérative, ni même négociative, « ne se décrète pas », elle doit se tenir que dans un processus de décision considérant les quatre pôles suivants :
De la littérature sur la négociation, je relève quatre modèles pour un tel processus de décision, réunis dans la grille de lecture suivante :40
Asymétrie de pouvoir entre l’offre et la demande d’un projet… | Processus de décision mené par l’offre d’une solution | Processus de décision mené par la demande de résolution d’un problème |
---|---|---|
…forte et fortement exploitée | Modèle Décider, Annoncer, Défendre (DAD) | Modèle Instituer, Délibérer, Éluder (IDÉ) |
…faible ou faiblement exploitée | Modèle Proposer, Écouter, Requalifier (PÉR) | Modèle Concerter, Analyser, Choisir (CAC) |
Dans ce modèle de décision, le processus est poussé par l’offre d’une solution, par une ou des boussoles « portant un projet », et qui vont, après avoir « décidé » des caractéristiques technico-économiques de celui-ci, l’« annoncer » pour des besoins de financements voire de procédures administratives et le « défendre », possiblement avec la boussole régulatrice si elle « roule » pour le projet, contre les boussoles résiduelles qui remettraient en cause les critères de définition et de choix du projet, n’acceptant de l’adapter qu’à la marge.
Le modèle DAD appelle face à lui des boussoles menant des actions de lutte.
Dans ce modèle de décision, le processus est impulsé non plus par l’offre d’une solution comme dans le processus DAD, mais par la demande de résolution d’un problème. Cela conduit alors à inverser les étapes du processus DAD : une ou des boussole(s) commence(nt) par la « concertation » de l’ensemble des boussoles impliquées, pour déboucher sur une définition négociée du problème (en quelque sorte, un « cahier des charges »). Ensuite les boussoles se concertent à nouveau pour « analyser » l’ensemble des solutions possibles. Enfin, une troisième phase de concertation permettra un « choix » de projet sur des critères transparents donc moins partiels et moins partiaux.
Le modèle CAC offre le milieu d’action adéquat à des boussoles partenaires de boussoles « portant un projet ».
Dans ce modèle de décision, le processus est impulsé non plus par l’offre d’une solution, mais par la demande de résolution d’un problème comme dans le modèle CAC, mais certaines boussoles sont en position d’exploiter de fortes asymétries de pouvoir pour imposer leurs vues, et sont prêts à le faire. Par exemple lorsque le passage par une concertation ne leur assure pas de pouvoir préserver leurs intérêts elles peuvent faire en sorte qu’une situation mystérieusement s’enlise, ou débouche sur un traitement du problème concerné seulement a minima, alors qu’elles ont les moyens d’agir pour régler le problème.
Dans certains cas le travail de coopération entre boussoles peut se focaliser sur des objectifs de procédures, facilement réalisables ou sur de « faux problèmes ». Dans d’autres cas, des boussoles peuvent peser de tous leurs moyens pour circonvenir les représentant·tes d’autres boussoles, au point que finalement la concertation ne soit plus qu’un affichage derrière lequel les procédés du modèle DAD se déroulent inchangés, même si c’est de façon plus discrète.
Le modèle IDÉ appelle face à lui des boussoles menant des actions de clarification et de « mise en lisibilité ».
Dans ce modèle de décision, le processus est impulsé par une ou des boussoles « portant un projet » de solution mais celle(s)-ci se trouve(nt) dans une position qui ne leur permettent pas de « forcer » la décision – ou bien elles s’abstiennent de le faire. Dans ce cas le projet est « proposé » par cette ou ces boussoles, qui espèrent recevoir un accueil favorable de la part des autres boussoles. Dans un second temps il s’établit un dialogue critique qui permet aux autres boussoles d’exprimer leurs réactions au projet – y compris le cas échéant des réactions de refus. Sur la base d’une « écoute » des positions et propositions des uns et des autres, la ou les boussoles reprennent l’initiative, soit pour abandonner le projet, soit pour le « re-qualifier » (et entamer des négociations sur cette base) – soit évidemment pour le mener à bien s’il a rencontré un accueil essentiellement favorable.
Le modèle PÉR appelle face à lui des boussoles menant des actions de prise de parole critique, d’expertise et de propositions alternatives.
Le concept d’« opinion publique » invoqué dans l’analyse des précédents processus de décision est ici à entendre non pas pas seulement comme désignant l’« Assemblée générale » ni même l’ensemble des membres de Rézine, mais l’ensemble de la société, qui, qu’elle observe spécifiquement Rézine ou non, est en mesure d’avoir des effets sur Rézine.
Cependant ce concept invite à reconnaître et clarifier une seconde boussole particulière : la boussole « publique », réunissant tout·te membre de Rézine ne tenant pas (ou pas encore, ou plus) une autre boussole.
Je relève déjà néanmoins de la littérature sur la concertation plusieurs limites à la cohabitation de dissensus :
La navigation vers ou depuis les compositions négociatives ou adversatives peuvent sembler triviales, cependant je constate que cette acceptation reste inentendable dans de la littérature sur les coopératives, que j’ai cherchée parce qu’observant justement des coopératives de l’Union régionale des Scop Auvergne-Rhône-Alpes, et donc vers laquelle seront peut-être renvoyé·es des membres de Rézine.
Ainsi ai-je lu dans un article dont le titre « Transformation coopérative, travail de négociation et communs : les interactions du matériel et de l’idéel » annonce pourtant une problématique très similaire à celle que je développe dans le présent document :41
la négociation qui accompagne le processus de [transformation coopérative] ne peut se réduire à la recherche d’un compromis équilibré entre acteurs aux intérêts et logiques d’actions distinctes. Elle nécessite la construction d’un collectif d’acteurs renouvelé structuré autour d’un projet partagé. Le processus de co-activité à l’œuvre interpelle donc la notion de négociation habituelle et invite à dépasser les apories de l’analyse de la négociation traditionnelle (Mermet, 200942 ; Lichtenberger, 201343)
En dépit de ce déconseil, Laurent Mermet reste de loin l’auteur dont les mots et concepts m’aident le plus à penser le présent document, et en particulier avec cet article de 2009 sur la négociation présenté plus haut.
Il est probable que chaque membre de la boussole régulatrice ait des affinités ou « roule » carrément pour telle ou telle boussole, et donc se retrouve en même temps arbitre et partie prenante, notamment dans le modèle de décision DAD.
Or, la séparation dans les faits entre la boussole régulatrice et la ou les boussoles « portant un projet » est le point crucial de la sortie du modèle de décision DAD. Mais le ou les opérateurs de cette séparation ne sont nullement la boussole régulatrice elle-même, et encore moins, la ou les boussoles « portant un projet » : ce sont les boussoles « objectant au projet », agissant sous les yeux de l’« opinion publique », et notamment la boussole publique.
TODO
Merci aux membres qui nous ont invité à participer au « petit
questionnaire (environ 5 min) »44 qui m’a motivé à « rendre ma
copie », même si je n’avais pas prévu que cela allait me prendre presque
deux mois de « entre 20h et minuit » juste pour arrêter une
v1
🤕.
J’aurais probablement dû me décider plus tôt à appliquer mon principe habituel de publier précocément, mais souvent, pour écouter mes critiques et dialoguer. Mais je changeais tellement trop le centrage du problème à chaque nouvelle lecture, que j’ai préféré épuiser au moins exhaustivement la lecture des textes de Laurent Mermet, avant de soumettre ce problème à vos critiques, de sorte qu’il soit davantage probable que vous m’en apportiez que je ne sois pas capable de trouver moi-même.
Merci énormément également, et pour une raison évidente, aux personnes portant des causes que je groupe ici sous la bannière de l’« écologie » et du « genre », envers ou dans Rézine. Dont je ne plaide au fond ici qu’à pousser leur logique d’action jusqu’au bout au lieu que seul la préoccupation de référence du « Conseil de surveillance » ne soit portée par un groupe « verrouillé » par cooptation et doté de pouvoirs différenciés. C’est tout particulièrement en apprenant que la « proto-boussole » MINT existait déjà dans Rézine — qu’une telle différenciation relativement éloignée de l’objet social de Rézine était déjà entendable dans Rézine — que j’ai pensé que sa généralisation radicale dans un pluralisme des boussoles le serait probablement aussi.
Enfin, avant même que d’avoir reçu une première critique (et donc écoute), je ne regrette pas d’y avoir consacré du temps, car cela m’a incité à chercher et comprendre des concepts qui m’aideront très probablement pour d’autres actions (et pas que cognitives). Un dernir merci donc aux personnes portant le « commoning » pratiqué dans Rézine qui, 10 après, ne cesse — comme annoncé dans les livres — d’instruire mon apprentissage (sur et par le) collectif.
Dans le but de défendre mon droit à recevoir des critiques — qu’elles
soient bonnes ou mauvaises — et que vous puissiez facilement me
dire ce que vous pensez sans nécessairement vous lancer dans une
dissertation, je vous propose — si vous le souhaitez — de m’envoyer un
mél à une des adresses45 du tableau suivant (chaque adresse
étant dédiée à la présente révision « v1
» de la plaidoirie
et à une mention pour me faciliter la tâche) :
Mention | Signification |
---|---|
À combattre | « Je pense que c’est un problème qui ne doit pas être résolu dans Rézine. » |
À rejeter | « Je pense que c’est un problème qui ne devrait pas être résolu dans Rézine. » |
À lire | « Je n’ai pas encore pris le temps de comprendre le problème. » |
À clarifier | « Je ne comprends pas bien le problème. » |
À approfondir | « Je pense que c’est un problème qui ne peut pas être résolu dans Rézine. » |
À considérer | « Je pense que c’est un problème qui devrait être résolu dans Rézine. » |
À affronter | « Je pense que c’est un problème qui doit être résolu dans Rézine. » |
Vous pouvez préciser votre numéro d’adhérent·te à Rézine (au
format adh<numéro>
) si et seulement si vous souhaitez
que votre évaluation et éventuelle critique soient incorporées sous
license CC-BY-4.0
(associée à ce numéro d’adhérent·te) dans une révision ultérieure de la
présente section.
Auquel cas, vous pouvez également :
Vous pouvez modifier toute contribution de votre part de la même manière, y compris la supprimer en m’écrivant un mél, cette suppression ne concernerait toutefois pas les révisions précédentes que je signe cryptographiquement et archive publiquement.
Ci-dessous la révision « c1
» des
évaluations critiques que j’ai reçues sur chacune des révisions de la présente plaidoirie.
v1
»Rézine <RFCp1v1c1> — « Une Boussole, ou des boussoles ? » — 2024-01-11 — série Requests for Criticisms — problème « p1 », plaidoirie « v1 », critiques « c1 » — boussole informatique — <https://git.sourcephile.fr/julm/rezine-rfcs.git/blob_plain/p1v1c1:/rfcs/p1/index.html>. 46
Mention | Nom | Membre | Critique |
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Mention | Nom | Membre | Critique |
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À affronter | Julien Moutinho | adh14 | Cette RFC a pour but de motiver le besoin d’avoir plusieurs boussoles dans Rézine, et commence à en élucider les conditions nécessaires et limites conceptuelles. Mais il faudra d’autres RFC pour remplir ces canevas conceptuels, notamment par une analyse stratégique et gestionnaire des propositions d’institutions de « la Boussole », à la fois par une boussole informatique, et possiblement par d’autres, j’espère. Toutefois, passer du temps à penser ou demander des critiques autour d’un projet d’informatique, au lieu de me concentrer sur l’informatique en tant que telle — qui est ce qui motive dans la vie en premier lieu — ne m’enthousiasme pas : cela m’expose à des confrontations, et me cause un manque de sommeil et surtout un manque d’amour à donner aux codes sources que j’aime, ce que je n’assume que par vagues très temporaires. D’ailleurs les curieux·ses pourront constater que je n’ai pas pu me retenir de jouer avec pandoc sur le bord du chemin. Dans le but d’explorer une des solutions que l’ingénierie informatique peut apporter pour faire fonctionner plus efficacement les discussions dans Rézine. |
Mention | Nom | Membre | Critique |
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